• Peinture murale Les pierres, précieuse ou non, finiraient de toute façon au fond de l’eau, Vue de l'expostion Balade Sans Fin de Diego Guglieri Don Vito et Geroges Rey à La BF15, Commissariat Perine Lacroix, Lyon, 2023
  • Vue extérieur de l'expostion Balade Sans Fin de Diego Guglieri Don Vito et Geroges Rey à La BF15, Commissariat Perine Lacroix, Lyon, 2023
  • Vue de l'expostion Balade Sans Fin de Diego Guglieri Don Vito et Geroges Rey à La BF15, Commissariat Perine Lacroix, Lyon, 2023
  • Trop ennuyé, une douce chaleur régnait. 2023, 2 stores 60 cm x 200 cm, 2 stores 120x200cm, recto/verso,peinture acrylique pulvérisée sur toile vinyl Vue d’exposition, Balade Sans Fin, 2023, La BF15
  • Perdu ce parterre de fleurs, las de m’allonger. 2023, 50 cm x 100 cm x 90 cm, 5 transats, peinture acrylique pulvérisée sur toile Vue d’exposition, Balade Sans Fin, 2023, La BF15
  • Vue extérieur de l'expostion Balade Sans Fin de Diego Guglieri Don Vito et Geroges Rey à La BF15, Commissariat Perine Lacroix, Lyon, 2023
  • Perdu ce parterre de fleurs, las de m’allonger. 2023, 50 cm x 100 cm x 90 cm, 5 transats, peinture acrylique pulvérisée sur toile Vue d’exposition, Balade Sans Fin, 2023, La BF15
  • Perdu ce parterre de fleurs, las de m’allonger. 2023, 50 cm x 100 cm x 90 cm, 5 transats, peinture acrylique pulvérisée sur toile Vue d’exposition, Balade Sans Fin, 2023, La BF15
  • Perdu ce parterre de fleurs, las de m’allonger. 2023, 50 cm x 100 cm x 90 cm, 5 transats, peinture acrylique pulvérisée sur toile Vue d’exposition, Balade Sans Fin, 2023, La BF15

Balade Sans Fin

La BF15, Duo avec George Rey, Commissariat Perrine Lacroix, 2023

À la faveur de l’été et de la flânerie sur les quais de Saône, l’exposition BALADE SANS FIN réunit deux artistes attentifs à ce qui se révèle au détour des errances. Logées dans une dimension expérimentale, leurs œuvres se livrent dans l’intimité soudaine ou progressive des rencontres.   

Georges Rey est cinéaste, photographe et commissaire d’expositions. Ses films expérimentaux privilégient les plans fixes et ne font pas intervenir le montage, laissant alors toute liberté au sujet filmé.

Si on s’amusait à faire une liste des sujets évoqués dans les films de Georges Rey de la fin des années 60 à la fin des années 70, on obtiendrait un étrange agglomérat, fait de vaches, de corps nus, de punk, d’eau, de pantalons de cuir et de fleurs. Une liste à la limite du surréalisme et de l’incohérence. Or, il suffit d’un peu de chronologie pour voir apparaître au fil du temps une évidente suite. Tout est une question d’histoire, d’une décennie à l’autre, de l’utopie au désenchantement. Car Georges Rey ne se contente pas de montrer, il temporise le regard et met en scène la manière de voir. De l’instant de la rencontre subjective à sa disparition dans l’énergie du moment.1 […]

Entre écriture et peinture, le travail de Diego Guglieri Don Vito s’envisage comme un univers. Par touches, dans un ensemble de transats peints et disséminés dans l’espace, ou par immersion, dans l’ampleur d’un mural, sa proposition colorée esquisse un paysage.

En dialogue avec les œuvres de Georges Rey et le panorama extérieur, il invite le public à la pause et la contemplation.

Je commence à peindre le plus souvent à l’aérographe. Cette phase-là est très libre, elle laisse place à beaucoup de ressenti vis-à-vis de la peinture. J’aime dire que c’est le moment où les couleurs font connaissance entre elles, et où je fais connaissance avec elles. (…) C’est un peu comme le début d’une soirée où les invités commencent à discuter, parfois l’ambiance met du temps à prendre, il faut trouver le dosage, comme le bon moment où on commencerait à baisser la lumière. Ce que je cherche à ce moment c’est à être surpris, qu’il se passe quelque chose : qu’il commence à y avoir peinture.2 […]

  1. Hauviette Bethemont, Texte publié lors de l’exposition Séance permanente, Le Bleu du ciel, Lyon, 2010 ↩︎
  2. Extrait de La communauté, Bavardages. Correspondances entre Julie Digard et Diego Guglieri Don Vito ↩︎

Plus d’infos sur le site de La BF15.

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Les pierres précieuses ou non, finiraient de toute façon au fond de l’eau.

Je sais peu de choses de cette histoire, sinon qu’elle commence dans un parterre de fleurs. Un peu au-dessus plus exactement. Je ne saurais décrire ces fleurs, dire quelle était leur forme ou leur odeur, car je ne me souviens que de la couleur qui faisait ce temps-là. Le fond était sombre, si sombre que je ne pouvais discerner mes pieds. Je ne saurais non plus dire la hauteur de leurs tiges ; je ne sentais rien, au-delà des caresses de leurs pétales. Le fond était sombre. Pourtant, à perte de vue, ces fleurs-là s’amassaient en une multitude de variations, le bleu s’étalait de l’intense au clair, s’égarait du mauve au rouge ; l’on n’aurait pu dire dans quelle direction ces fleurs s’étendaient. Le savoir n’avait pour moi aucune importance. Je continuais la route comme je l’avais commencée : sans connaître vraiment où elle débutait ni quand elle finirait. La seule chose qui, à mes yeux, avait de l’importance était de dérouler le fil de ce voyage.

J’errais donc perdu dans ce parterre de fleurs, las de m’allonger, trop ennuyé ; une douce chaleur y régnait. Je m’avançais sans pouvoir m’égarer plus que je ne l’étais déjà. Au fond, j’apercevais une silhouette fine, en ligne droite ; je continuais, m’efforçant de ne prêter aucune attention à la lente échappée du temps qui commençait à se faire pesante. À mesure que la distance entre nous s’amenuisait, une sensation se faisait plus précise. Sans nous connaître, nous poursuivions la même partie de ce chemin.

Cette silhouette fine, une personne entre deux âges, qui sans être vieille, laissait derrière elle quelques années, était occupée à lancer de petits objets. Arrivé à sa hauteur je m’apercevais que ce champ fleuri continuait d’étendre ses bras colorés aux abords d’une étendue d’eau. Elle se teintait d’un bleu intense, dilué en de longues nappes turquoise translucides. Perdu en un vert profond, au point que l’on pensait ce lac sans fin. J’ignorais qui des fleurs ou de l’eau donnait à l’autre sa couleur.

J’étais certain que la Silhouette m’avait entendu arriver. Elle employait une énergie nonchalante à ne pas faire grand cas de ma présence. Ses gestes continus rejouaient la même chorégraphie. Avec précision elle saisissait ce que j’identifiais maintenant comme de minuscules cailloux colorés, ils jonchaient le sol tout autour de nous. La Silhouette les lançait face à elle, adressant à l’étendue une molle chute d’éclatants projectiles. L’eau tiède nous léchait les chevilles. Plantés sur ce foisonnement nuancé, une douceur enveloppante, brume paresseuse et passagère. La Silhouette m’ignorait, nous appartenions à ce lieu. J’appréciais n’être l’objet d’aucune attention, cela me laissait le loisir d’observer en détail la scène se déroulant sous mes yeux.

Sa main gauche était fermement serrée autour d’une poignée de pierres translucides. Elles auraient pu être sélectionnées avec soin ou ramassées au hasard. La façon dont ces couleurs étaient jetées à l’eau m’indiquait qu’elles n’avaient pour seule valeur celle que les personnes présentes voudraient bien leur accorder. Il n’y avait que nous. Le soir s’étirait en de longues raies lumineuses fondues à la surface de l’eau. Il était clair que la Silouhette ne souhaitait pas garder pour elle le contenu de sa main gauche, ou qu’elle s’en débarrassait. Les pierres, précieuses ou non, finiraient de toute façon au fond de l’eau. Il m’était difficile de saisir ce qui était en train de se passer. Si le résultat escompté était un jeu de ricochets, celui-ci n’en avait que le nom ; toute tentative s’arrêtait à un rebond nul, les cailloux jetés coulaient irrémédiablement au travers de l’étendue turquoise. J’étais intrigué. 

« — Que faîtes-vous ?

— Cela ne se voit-il pas ? »

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La Silhouette répondait sans me prêter plus d’importance qu’elle ne l’avait fait jusqu’alors. Je sentais un fourmillement agiter mes pensées. Je ne savais dire si j’étais agacé par la répétitivité de ses gestes, on le manque de considération qu’elle prêtait à mon égard.

« — Vous m’avez tout l’air de lancer des pierres à l’eau.

— Pourquoi posez-vous donc une question à laquelle vous avez la réponse ? »

Cette répartie était d’une évidence crue. Pour autant, la silhouette l’avait énoncé sans malice. En silence, je continuais à observer ce curieux rituel. Celui-ci m’apparaissait sans fin. Une à une, patiemment, la silhouette faisait passer les minéraux de sa main gauche à droite, avant de les lancer sans hâte ; ni laisser paraître une émotion qui permettrait de trancher quant à la finalité de cette attitude. À bien chercher, il y avait une forme de curiosité dans son regard brillant, suivant avec précision la trajectoire aérienne des galets. Elle accompagnait patiemment la chute de chacune des particules colorées, l’ascension rapide, puis sa descente vers les profondeurs émeraude. Entre elles deux, il y avait une infime seconde suspendue au cours de laquelle les pierres ne montaient ni ne descendaient. En se concentrant sur cet instant, la scène se figeait, semblait durer une éternité. Ce temps imperceptible ralentissait le miroitement des derniers éclairs du jour à la surface de l’eau. J’aurais voulu par ma seule force étirer ce temps indiscernable. Mais l’issue systématique retombait toujours. En répétant ces gestes infinis, la Silhouette me donnait l’impression d’employer calmement son énergie à se lancer elle-même encore et encore.

«  Je fais des ronds dans l’eau, dit-elle sans s’arrêter ou se retourner. » 

Le constat était d’une réalité simple et sincère. Chaque jet rencontrait la surface de l’eau pour y tracer un cercle dont la parfaite régularité s’amenuisait, s’étalant en une abstraction de reflets distendus. Chacune de ces perturbations mêlait le turquoise d’une eau claire au poudre rose d’un soir juste tombé du ciel.

« — Pourquoi tracez-vous des ronds ? »

La Silhouette, sans cesser d’observer une énième chute adressée au lac, prit le temps de s’arrêter. Elle se retournait enfin vers moi, m’adressant un regard réservé aux personnes dont on partage l’intimité. Sa réponse cheminait sans se presser.

« — Ne faites-vous les choses que par nécessité ? »

Je n’avais pour seule réplique que le silence flottant autour de nous. J’inspirais le temps d’amorcer une réflexion sur les nécessités qui m’avaient conduit jusqu’ici. J’étais mué par la volonté d’avancer, sans pour autant connaître la direction vers laquelle je me tournais. Ainsi, me disais-je, finalité et nécessité finiraient probablement par se rencontrer sans que je n’aie quoi que ce soit à faire dans cette histoire, sinon la continuer.

« — Les vaguelettes qui déforment la surface de l’eau sont finies, continua la silhouette sans me laisser le temps de dévoiler mes motivations. Elles sont finies au sens où l’on peut les dénombrer. Pour qu’il soit plus commode de compter, on pourrait, par exemple, figer le temps.

— Figer le temps est impossible.

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— Ce n’est pas le sujet. Je vous parle de compter, pas question de figer. Prenez un instant T, celui par exemple où ce qui est jeté à l’eau commence à redescendre. Enfin juste avant, lorsque l’ascension se termine, mais que la chute n’a pas encore démarré : à son apogée. Il est possible à cet instant unique de dénombrer l’ensemble des déformations qui se produisent à la surface de l’eau. Ces vaguelettes sont uniques, aussi uniques que l’instant isolé. Les concevoir toutes en même temps n’est pas un exercice aisé. C’est la raison pour laquelle on arrête généralement un instant. Afin de prendre le temps. Le temps de compter. C’est une chose sérieuse, vous savez ? On compte, on compte ce qui est. Ce qui est dans un espace donné, un temps limité. À vouloir compter les vagues, il faut définir un espace. Dans cette étendue face à vous par exemple. Les vagues y sont nombreuses, mais elles ne sont pas infinies. On peut donc les compter. Vous me suivez ? Ne les comptez pas maintenant, ce n’est pas le moment. Vous commencerez quand je vous le dirai. Ou quand vous le souhaiterez, ça n’a aucune importance. Maintenant, prenons du recul. Sortez de ce que vous voyez. Sortez de votre habitude de penser. Prenez de la hauteur. Vous voyez ce lac de haut ? Ce n’est pas suffisant. Prenez plus de hauteur. Regardez autour de vous. Vous voyez l’eau ? Toute l’eau ? Regardez mieux, encore. Plus loin. L’eau des mers, l’eau des rivières, l’eau des verres. Chaque étendue compte. Chaque surface comporte des vagues. Voyez-vous ces vagues ? Concevez-en les particularités de chacune, faites-en des entités uniques. Chaque forme et chaque reflet créés par ces déformations. Aucune d’elle n’est strictement égale à l’autre. En ce sens on peut les dénombrer. Le temps est figé rappelez-vous. Nous avons devant nous tout le temps qu’il faut pour dénombrer, pour compter. Ce serait long, mais facile. Il suffirait de commencer par le début. On ne peut geler le temps dîtes vous ? Alors soit, qu’il se déroule et que les vagues avancent qu’elles se multiplient. Pensez à toutes ces vagues. À toutes celles qui existent.

À celles qui ont existé jusqu’alors. En remontant le temps, on pourrait les voir toutes. Vous y êtes ? Cette multitude vertigineuse existe. Elle est réelle. Elle est réelle, car elle est unique. Vous la visualisez. Vous pouvez la compter, il suffit de prendre le temps. Vous ne le faites pas, vous n’en avez pas la patience. Mais vous pourriez le faire. Cela vous occuperait. Toute une vie s’il le faut. Il y a un début, il y a une fin. Il vous suffit de compter.

« — Vous faites des ronds pour compter les vagues.

— Je fais des ronds parce que je peux le faire. »

Ne sachant qu’ajouter à cette démonstration, je m’asseyais au sol. L’étendue d’eau troublée reflétait la lumière. À mesure que le temps passait, tout devenait rose. Pas un rose franc. Un rose discret qui se déployait de l’air aux vagues. Il donnait au temps la couleur paisible d’un espace qui change. J’étais troublé. Autant que l’étendue d’eau face à moi.

Je regardais devant moi le lac perturbé par les projectiles déformant sa surface, la lumière poudrée y rebondissait. Je m’allongeais et fermais les yeux, essayant de penser à ce que l’on peut faire et compter. Je pensais au sol sous mon dos, soutenu par un ensemble de petites pierres rondes, translucides et colorées, qui finirait au fond de l’eau si la silhouette continuait la danse qu’elle avait entamé. Je pensais à leur masse compacte, à chacune de leurs extrémités qui se frôlaient immobiles. Je sentais mon être se dissoudre à travers elles et le silence qu’elle diffusait. Je me sentais spinelle, tourmaline et citrine. Mon spectre diffus se répandait dans cette masse dénombrable. Cette compacte sédimentation qui traçant des cercles. Les vagues que je n’avais pas comptées cessaient d’être à mes chevilles se déversant maintenant à l’intérieur de toute mon existence. J’étais ce tout. J’étais une multitude colorée. J’attendais d’être lancé.

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