Le temps suspendu, d’une longue marche, aux côtés de couleurs silencieuses.
Banana, 2021, Marseille
Pour la première exposition dans l’espace d’art Banana Marseille, il a été fait le choix de montrer une collaboration entre deux artistes, Lara Keith et Diego Guglieri Don Vito. Construite par correspondance, entre Marseille et New York, durant une période où les corps ne peuvent se rencontrer pour échanger, cette exposition est le fruit d’un jeu entre les deux artistes. Sur l’invitation à formuler une proposition, Lara Keith envoi une collection surprise à laquelle Diego Guglieri Don Vito devra trouver une forme d’exposition. En quête d’éléments auxquels se raccrocher pour trouver la juste forme, tous deux explorent au fil des échanges, la nature du ressenti fragile, et pourtant tenace, qui aura conduit l’artiste new yorkaise à choisir ces objets.
Laissons pour un temps, au monde, le reste du monde.
J’ai choisi ces objets de manière instinctive, en les laissant exercer sur moi leur pouvoir d’attraction. Au fond, ce qu’ils provoquent en moi dépasse la simple fascination esthétique, c’est une sensation finalement plus simple et précise, mais notre langage n’en connaît pas les mots. Pour t’en parler, je dirais que c’est un sentiment fugace dont la description est longue. Une impression de se lever plusieurs matins de suite en éprouvant toujours la même humeur : celle d’avancer, depuis un moment déjà, sans le savoir. S’en rendre compte soudainement, pas violemment, mais d’un coup, oui d’un seul. Après tout, n’ayant aucune raison de m’arrêter, je poursuis. Il est tôt, le soleil se lève.
En regardant autour j’aperçois la brume donner à l’air cette densité qu’ont parfois les attentes trop longues. Je progresse lentement, sans pour autant m’impatienter, car je sais que je peux laisser au jour le temps de s’écouler. Tout autour de moi, les couleurs frappent, non par la façon dont on les distingue, mais bel et bien à la manière dont je peux les pénétrer. Cela ne dure pas si longtemps, et pourtant, je le perçois comme une éternité. Dans ces teintes chaudes et pourpres du jour qui se lève à peine, le temps s’arrête. Je ne m’en rends compte que lorsque tout se tait. Le silence est total. Ni ne me parviennent les sons de l’extérieur, ni ceux de mon propre corps. Le sol perd toute densité, mais c’est sans importance : je me coule dans les nuances autour pour ressentir leurs douces métamorphoses. Elles noient l’espace et se fondent en tout ce qui m’environne, moi comprise. Il m’est alors impossible de différencier mon corps de ces couleurs et nous progressons ensemble lentement, de manière diffuse dans la totalité de leur espace.
Elles et moi sommes cette douceur et laissons pour un temps, au monde, le reste du monde.
Lara Keith, 2021
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