Miami Fauve Collision : 45e Rugissant

Vue de l'exposition Views From Miami Fauve au Virtual Dream Center
Views From Miami-Fauve de Diego Guglieri Don Vito & Julien Humbert dans le Virtual Dream Center 3.2

Texte de Marie de Brugerolle pour l’exposition Views From Miami Fauve au Virtual Dream Center 3.2

La Collision de Miami Fauve est une œuvre en extension, le rêve d’un monde dont un artiste nous fait prendre conscience.

Elle pré-existe à son auteur, Diego Guglieri Don Vito qui en est l’inventeur au sens de découvreur. Tel Vasco de Gama ou Magellan, Diego G. Don Vito, a rencontré la Collision Miami Fauve en 2017. Cent ans après Fontaine de Marcel Duchamp, et 111 ans après Le Port de l’Estaque par Georges Braque, Diego Guglieri Don Vito passe le seuil d’un univers où la couleur est une dimension spatio-temporelle. Un monde construit par les chocs permanents de particules en mouvement, dont la fluidité serait bloquée dans un « double effet Venturi ». Imaginez un monde coincé dans le goulot d’une bouteille, entre deux tubes, et dont la fluidité est accélérée par l’effet Venturi 1, de manière mécanique. Imaginez ensuite la forme globale de cette bouteille, dans la logique du « hangar décoré » signalée par Roberto Venturi 2.

UNE NATURE DIFFRACTÉE : Learning from Miami Vice vu à la télé à Marseille.

Prenons une carte postale d’un tableau Fauviste et laissons-là au soleil sur la nappe en plastique de la table de la cuisine, à Marseille. Quelques temps plus tard, les coloris auront pris une teinte jaunie, comme passée au filtre « bonne mine » de votre appareil photo ou téléphone portable. Miami Vice était une série télévisée américaine des années 80, avec Don Johnson et Philip Michael Thomas (respectivement Inspecteur Sonny Crocket et Ricardo Tubbs), sur fond de trafic de drogue et prostitution, le long des canaux de la ville de Floride.
Juste après le Scarface de Brian De Palma (1983), la série aux couleurs de la mode post-disco (pastels rose, mauve, jaune fluo), est contemporaine des première années Sida.

La vue de l’Estaque, 1906 par George Braque, peint un monde par touches colorées. Il dira que cela correspondait bien à ses 23 ans. Les couleurs n’existent pas, ce sont des longueurs d’ondes et leur perception est à la fois mécanique, due à notre système optique, et culturelle. Par exemple les Grecs n’utilisaient pas le terme « bleu » mais une variété de déclinaisons de « verts ». La couleur varie selon la longueur de l’onde, du bleu profond au jaune, du plus court au plus long. Le rose « Miami » serait une longueur d’onde assez étendue. Selon le nombre de cellules photosensibles dont notre rétine est tapissée, les photorécepteurs perçoivent la clarté (grâce aux bâtonnets) ou les couleurs (grâce aux cônes).
Lorsqu’un obstacle (objet ou ouverture) se place sur la trajectoire d’une onde, celle-ci se diffracte. Les atomes diffractés ont un mode opératoire similaire aux ondes. Le monde de Miami Fauve est de nature fluide/diffractée et oblique. En cela elle est structurellement reliée à notre époque.
La nature diffractée des ondes lumineuses qui induisent la couleur rejoint la diffraction qui caractérise le mode de vision contemporain. On glisse le doigt sur la tablette, on tapote sur l’écran de l’iPhone tout en cherchant une application sur l’ordinateur de la maison. Tous les supports sont potentiellement reliés, connectés, en co-présence. L’immédiateté potentielle crée une convergence plausible : nous serions tous ensemble.

SF-SFUMATO : LE PRÉSENT COMME PASSÉ DU FUTUR.

Tous ensemble mais où ? Quel est l’espace-temps, le lieu, l’endroit commun, d’une mémoire partagée (car il n’y a pas de lieu sans mémoire) ? Un froissement temporel, comme si deux plaques tectoniques s’étaient rencontrées, créant une convergence spatio-temporelle dont le signe est la convection colorée (passage de teintes froides à chaudes). Cet espace existe, en parallèle au notre, dans un tableau fractal. Il n’est pas utopique, il est une nouvelle topique. On y entre par un seuil qui dérive du rêve ou de la projection. L’auteur a entamé des correspondances (il en est à la 45e) afin d’en savoir plus sur la forme de son invention. Une oeuvre dont la forme serait déléguée ? De la même manière que Claire Bishop parle de « performance déléguée » 3.
Cette forme, c’est un plan dans lequel on peut évoluer de façon virtuelle et qui conjugue une esthétique post moderne (le Miami des années 80) et les coloris de la période Fauve de Georges Braque. Plus précisément les coloris d’un fauvisme atténué par un filtre « perroquet ».
La conjonction du début de la modernité et de sa forme performé par une esthétique du filtre produisent cette utopie hybride, Sim City arrêtée dans une archéologie du futur, en carte-postale. C’est le propre de la science-fiction que de faire paraître notre présent « passé ».

Diffractées par une ouverture possible, un passage de plan, vers une autre dimension, les couleurs sont la dimension additionnelle. Ici non décorative mais structurelle, la couleur est un vecteur pour passer un seuil. Un film nous donne des clefs. D’abord paru en feuilleton en 1972, Stalker, des frères Strougatski (1977), est le roman dont Andrei Tarkovski fera un film en 1979. Le sous–titre, « pique-nique au bord du chemin », est une clef importante pour comprendre la question du seuil. Les extra terrestres ayant infiltré la terre de façon discrète, ils ont laissé des traces, des zones de contacts. Les « stalkers » sont des personnes qui viennent piller des objets dans ces zones. Ils sont à la fois collecteurs et transmetteurs. Ils peuvent passer des seuils. Le propre du seuil c’est qu’on l’éprouve. On doit en faire l’expérience pour le passer, et on ne sait qu’on l’a passé qu’en le passant.
Ainsi la « collision » dont il est question ne relève pas du brutal accident, mais de la diffraction visuelle, qui crée des moments de rencontres entre des univers différents. Le toucher, le son, les odeurs, seront des étapes complémentaires de la construction de ce monde parallèle. Les particules colorées sont des fractions de temps qui dérivent, s’agglutinent pour faire forme : point, ligne, plan. Le sfumato pictoriel entérine cette évidence quantique : passé, présent, futur sont des concepts relatifs. Les temps se « cosmosent » en strates parallèles, qui parfois, se rencontrent lors de collisions perceptives. L’image de la bouteille de Venturi est là pour évoquer ce moment d’accélération, créant des tourbillons où les rencontres anachroniques deviennent possible. C’est ce que provoque Diego G. Don Vito : les images de l’Estaque de Braque, et celles de Miami sont réactivées dans un autre contexte : le présent où nous sommes. Le sfumato qui permet de flouter les espaces « entre » est formé de millions de micros particules qui s’accélèrent pour aider à passer un sas, un passage, le seuil/rideau de la pellicule colorée.

ÜBER-OBJET : LA COLLECTION COMME OBJET, L’OBJET COMME RESTE.

Un hyper-objet est un dispositif dont la forme peut-être un système. « Entities that are massively distributed in time and space that we humans can only see or deal with little pieces of them at a time—they might not even look as if they’re present or real, especialy if we find that we are inside them or are parts of them as being a part of the biosphere. » dit Timothy Morton. 4 Cette définition pourrait s’appliquer aux objets « sentimentaux » collectés et collectionnés par l’artiste Caroline Saves avec laquelle Diego G. Don Vito a inventé le projet Cleptomanie Sentimentale 5. Pour ce projet, D. Guglieri Don Vito conçoit un espace pour recevoir des objets. Les cimaises roses, le plan du bar, les supports d’exposition, reçoivent les oeuvres glanées. Ici aussi il s’agit de concevoir une enveloppe, qui est plus qu’un module neutre d’exposition mais se lit comme le dispositif qui « fait exposition ».

C’est la collection dans son entier qui devient l’hyper-objet de ce système, grâce à la structure inventée par Diego Guglieri De Vito. De même, lorsqu’il réfléchit avec François Dehoux lors d’une résidence de recherche 6 et invente W, un cube blanc qui est un module pour expositions temporaires, il imagine une forme générique qui correspond aux attentes pratiques et symboliques de ce que l’on définit en tant qu’exposition contemporaine. C’est une réponse à l’überisation du monde et particulièrement du système de l’art contemporain, qui sous prétexte de « mort de l’auteur », dénie souvent aux auteurs leur nomination même. Le « cube » blanc, inventé par Brian O Doherty (en 1976), est un espace dédié aux œuvres, qui les délocalise et les sépare du cadre habité par l’histoire du musée. À cette dramaturgie aseptisée qui correspond à la dernière étape du modernisme, l’artiste répond par une forme « spécifique » qui elle-même symbolise l’exposition comme œuvre. Au temps linéaire et chronologique du musée classique, le musée imaginaire de Diego G. De Vito rejoint la vision dynamique d’un Lazlo Moholy Nagy et son projet de musée holographique. Les peintures téléphonées de celui-ci (Telephon Bilder, 1922-23) dont les coloris varient selon l’éloignement, furent une des premières œuvres réalisées par délégation à l’aide d’un téléphone. Selon L. M. Nagy, l’analphabète de demain sera celui qui ignore la photographie. On pourrait replacer cette affirmation dans le contexte actuel et parler d’analphabète informatique. Cependant le contemporain ne se résout pas au medium, et c’est ce qu’implique le titre même du projet : Fauvisme et Miami, un mouvement du début du 20e siècle et une cité dont l’architecture post-moderne a suscité de nombreux fantasmes. La conjonction des deux structures répond à un dépassement des genres. À l’attente générique du récit historique (composition sur toile par touches) de l’urbanisme post-moderne (esthétique de citations), La Collision Miami Fauve répond par un dépassement de la téléologie moderniste. Il ne s’agit pas d’une filiation du Fauvisme à Miami, de la toile peinte à la toile/web. La structure même du plan ou du récit historiciste est dépassée pour céder la place à un pluralisme de possibles.
À la surface décorative des architectures post Las Vegas des années 80 au sampling « grunge » de Seattle des années 90, répond l’ambiant des années 90. La vaporwave des années 2000 génère une esthétique décorative, une forme de design d’espace qu’on pourrait analyser comme un éclatement fractal du formalisme moderniste. Un cube, oui, mais « translaté » en quelque sorte d’un univers parallèle à son actualisation dans le territoire de l’exposition (W, IAC, 2019).
C’est un objet littéralement, au sens où il est « projeté » d’un espace parallèle, La Collision Miami Fauve étant sa « matrice » en quelque sorte. Les objets que fabrique Diego G. Don Vito sont à la fois méta-matériel, ils dépassent la question de l’existant pour rejoindre celle du potentiel, protéiforme et virtuel. Le virtuel étant entendu non pas comme inexistant mais comme valide selon un point de vue. Comme les fractales ou les polysphères, ou encore les Aleph, ils prennent forment sensibles selon l’angle de vue. C’est en quelque sorte une vision latéralisée qui opère des crystallisations aux croisements de chemins. De ce monde rêvé, sortent des objets, comme de « la Zone » de Stalker. Ils sont extrudés de la Collision pour être utilisés dans le réel.

LA COULEUR EST UNE DIMENSION

Passer du plan à deux dimensions à celui de la troisième dimension, c’est l’histoire de la sculpture. Imaginer la couleur en tant que dimension c’est ouvrir la question de la perception des ondes. L’histoire de l’art moderne convoque la quatrième dimension, celle du temps, dans le récit (Proust) et dans les arts (Marcel Duchamp). Cependant la dimension du temps n’est pas une dimension physique. Pour calculer un espace en 4D on imagine une entité voulant passer d’un plan à un autre, cela est expliqué sur les sites de sciences physiques et on parle par exemple d’hypercube, un objet de dimension 4 dont le 4e axe de coordonnées est nommé W (le nom de l’objet « white cube ») de Diego G. Don Vito. Cependant un hypercube est un groupe de 8 cubes, lorsqu’on voit un cube, on ne perçoit donc qu’un des côtés de ce polygone.

On pense évidement à FlatLand et à son impact sur l’art moderne, de Duchamp à Cointet en passant par Larry Bell. FlatLand est un monde à deux dimensions où des entités rêvent de passer en 3D. C’est aussi une critique de la société de castes Victorienne par Edwin A. Abbott. 7 Lors de la rébellion des classes Isocèles, ceux–ci décrètent la Couleur, en tant que seconde nature, supprimant le besoin de distinction aristocratique, inventant une Innovation Chromatique, facteur d’égalité. 8 Celle-ci fut précédée d’une Révolte des Couleurs et suivi Loi de Coloration Chromatique, avant d’être matée. Duchamp a lu FlatLand et cela aide à comprendre le Le Grand Verre (1915-23) par exemple. La forme des Moules Maliques a été établie à partir des Stoppages Etalons (1913-14) qui sont produits par le fait de lâcher des fils d’une hauteur d’un mètre sur la toile. Puis les points de placement sont déterminés au hasard par un lancer d’ allumettes sur le verre.

{SET} ET RE-SET

Si la couleur est une dimension, elle serait de l’ordre du symbolique, non de la physique. Ce développement symbolique des espaces produit une révolution dans la perception des structures et correspond à ce que l’extrusion apporte au virtuel : une probabilité d’existence parallèle, non moins réelle que la nôtre. Elle a le mérite d’ouvrir une nouvelle porte Utopique, à partir de la notion de passage et de projection colorée. Diego Guglieri Don Vito parle de la Vaporwave et on peut penser que la scène musicale de Portland des années 2010 fut important pour cette musique. Une musique d’ascenseur, de reprises d’épisodes de séries, qui utilise le fragment. Si l’on peut repérer une critique du capitalisme post-cyberpunk dans ces pratiques flottantes et circulant sur internet, c’est leur modus operandi qu’il est structurellement intéressant d’observer. La signification historique de ce nouveau genre, c’est son incapacité à fixer le canon d’un genre. Et en cela, parce que l’attente générique n’est plus un élément de validation, il inquiète la théorie du style. Il l’inquiète mais ne la détruit pas, il en modifie les présupposés. Prenons les conséquences de cette collision aléatoire, soit la rencontre du Fauvisme et de Miami sur fond de Flatland, pour un nouveau pari esthétique.

RIEN N’AURA LIEU QUE LE LIEU : LE CUBE BLANC EST UN DÉ SANS HASARD (SANS POINT)

S’il nous faut toujours des points pour tracer des droites, quelque soit le nombre de dimensions, il en faut aussi sur les faces des cubes pour devenir des dés.
Le cube W, hypercube solitaire qui a perdu les 7 autres côtés-cubes, est blanc. Il représente cette page blanche d’avant l’écrit dans le livre, son « avant-propos ». C’est une surface de projection potentielle. Par une stratégie oblique de distraction, Diego G. Don Vito fait glisser des objets de l’hyperzone vers notre monde. Par là il nous fait prendre conscience de la liberté et rend supportable la réalité. Il rend palpable, artistiquement, le symptôme de notre civilisation finissante : l’absence d’autonomie des formes en dehors de la perception humaine.

Textes de Marie de Brugerolle sur les Archivesdelacritiqued’art.org

Views From Miami Fauve sur le site du Virtual Dream Center

Retourner à la liste des textes

  1. Giovanni Battista Venturi (1746-1822), physicien Italien. L’effet Venturi décrit la relation entre la vitesse d’un fluide et la pression exercée sur celui-ci. ↩︎
  2. Roberto Venturi, Learning from Las Vegas ; MIT , 1972. ↩︎
  3. Claire Bishop, Artificial Hells, 2012, Verso. ↩︎
  4. Tim Morton, Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World. ↩︎
  5. Cleptomanie Sentimentale, exposition collective, Fondation Saves, Lyon, 2018. ↩︎
  6. W, cube blanc (203 x 203 x 203, bois) Artistes en résidence (Clermont-Ferrand) en Juin 2018. Il sera produit à l’IAC en juillet 2019 et montré à Clermont Ferrand (chez Artistes en résidence) en Septembre 2019. ↩︎
  7. Flatland, Seely & Co. 1884. Il est notable que l’édition d’Arion press de 1980 présente un préambule de Ray Bradbury. ↩︎
  8. Flatland IX De la loi de coloration universelle, p 52.53. ©2012 Zones Sensibles. ↩︎