La Communauté, Bavardages

Une échelle posée contre un mur sur lequel des esquisses sont accrochées dans l'atelier de Diego Guglieri Don Vito, situé au 234 avenue du prado, Marseille
Vue de l’atelier du peintre Diego Guglieri Don Vito, situé au 234 avenue du prado, Marseille

Correspondance avec Julie Digard

J’aime son odeur et le contact de mes mains sur ses murs

Lorsque je passe la porte de mon atelier, en arrivant je retrouve ce white cube de 15 m2, parfaitement rangé (la faible surface ne permet pas vraiment le désordre ! ) et en la refermant derrière moi je sais que je peux être totalement seul pour les 10 prochaines heures. Mon atelier est en sous-sol, il n’y a qu’une petite fenêtre ne permettant pas vraiment de voir l’extérieur, ce qui renforce le sentiment d’être dans une forteresse. Cela coupe également tout rapport au temps, si je ne regarde pas l’heure une fois dans l’atelier je ne sais pas combien de temps s’est écoulé depuis mon arrivée. Avant toute chose, je me change et passe mes habits de peintre : un short noir et ce sweet à capuche vert que je dois être la seule personne au monde à apprécier. À cet instant, le travail commence vraiment.

Ce que je fais dépend des projets en cours, parfois il faut écrire, d’autre fois faire des esquisses ou préparer un support à peindre, envoyer des dossiers de candidatures. Chaque tâche a ses propres rituels, par exemple lorsque j’écris je porte des bouchons d’oreilles car le moindre son me distrait.

La rencontre de ma peinture

Je te décris ma façon de faire exactement comme elle se déroule. En me relisant je me dis que c’est si précis que cela en devient abstrait. Tant pis, je préfère rendre justice à ce rituel et t’en faire le récit complet. Chaque fois, je procède exactement de la sorte : je secoue vigoureusement le pot de peinture, à la manière d’un shaker à cocktail, pendant une à deux minutes. Je pose le pot sur mon plan de travail et le laisse reposer pendant deux à trois minutes. Durant ce temps-là, je prépare le pot en verre qui recevra la peinture diluée : couvercle ouvert, chinois de cuisine posé dessus. J’ouvre ensuite le pot de peinture qui a été secoué avec un couteau américain, afin de ne pas tordre le couvercle. Je prélève la quantité de peinture voulue à la seringue : cela permet de mesurer au millilitre le dosage et de ne pas faire de gouttes ou de coulures sur le pot (je ne supporte pas les pots sales et pleins de peinture, petite maniaquerie de ma part). Je vide le contenu de la seringue dans le chinois posé sur le second pot. Cette opération permet de filtrer les petites particules de peinture sèches qui se seraient mélangées dans la peinture liquide : si elles passaient dans le pistolet celui-ci se boucherait, ou projetterait des gouttes sur le tableau que je suis en train de peindre. Ce sont deux choses que je ne souhaite pas voir se produire. Ensuite, avec la même seringue, je prélève de l’eau claire, la quantité nécessaire pour obtenir la dilution correcte. Je vide son contenu dans le chinois, cela permet de rincer la peinture qui reste accrochée et la récupérer dans le pot dilué. Je lave de suite le chinois et la seringue que je range piston tiré ; sinon elle aura tendance à se bloquer. J’attrape une petite baguette en bois qui me sert de spatule et je bats vigoureusement le pot de peinture dilué pour obtenir un mélange homogène. C’est assez drôle car quand il est réussi il est appétissant : on aimerait le goûter, mais je ne le fais pas, et je ne le conseille pas. Je vérifie que mon mélange est correct : lorsque je lève la spatule, la peinture doit couler en un filet fin et régulier. Si le filet est trop important la peinture est trop diluée, si la peinture tombe en une série de plusieurs gouttelettes elle n’est pas assez diluée. Je racle la spatule sur le bord du pot pour récupérer l’excédent et dépose la baguette alignée avec les autres (une par couleur) à cheval sur une baguette supplémentaire, le tout sur une feuille de papier de façon à ne pas salir mon plan de travail.

Cette description ressemble beaucoup à une recette de cuisine ; comme tu le sais j’ai passé beaucoup de temps à faire la cuisine dans des restaurants semi-gastronomiques, et beaucoup des gestes et habitudes me sont restés : garder un plan de travail propre et bien rangé, prendre soin de son matériel, nettoyer dès que possible. J’aime que la dilution des couleurs se déroule de la même façon que si elle avait lieu dans un labo (terme qui appartient aussi au champ lexical de la cuisine).

Derrière l’apparente rigidité de ces habitudes se cache une pénétration progressive dans la douceur. Elle se révèle avec l’esquisse et prend place dans mon carnet. J’aime masquer les marges de mes esquisses : cela donne une spatialité à ces peintures : la délimitation nette, de ce qui est peint et ce qui ne l’est pas, donne l’impression de regarder un tableau accroché sur un mur blanc. Je commence à peindre le plus souvent à l’aérographe. Cette phase-là est très libre, elle laisse place à beaucoup de ressenti vis-à-vis de la peinture. J’aime dire que c’est le moment où les couleurs font connaissance entre elles, et où je fais connaissance avec elles. Les couleurs ont chacune leur caractère : certaines sont timides, d’autres prennent toute la place, il y en a qui facilitent les relations entre les autres et certaines qui ne peuvent s’entendre entre elles. C’est un peu comme le début d’une soirée où les invités commencent à discuter, parfois l’ambiance met du temps à prendre, il faut trouver le dosage, comme le bon moment où on commencerait à baisser la lumière. Ce que je cherche à ce moment c’est à être surpris, qu’il se passe quelque chose : qu’il commence à y avoir peinture. Que celle-ci commence à se révéler. Cela demande d’essayer des choses, de recommencer, de laisser les couleurs se rapprocher, parfois de les pousser à se mélanger un peu. Je cherche à être séduit.

Une peinture plus grande que l’univers

Pour continuer dans le champ lexical culinaire, je dirais que la façon dont j’aimerais déléguer mon travail est celle d’un chef dans sa cuisine (ou un chef d’atelier pour parler peinture) : j’aimerais avoir une équipe d’une vingtaine de personnes que je pourrais former à la préparation des couleurs. Leur formation serait longue et je serais intransigeant. Je choisirais des personnes habiles, mais sans expérience, afin qu’elles puissent s’imprimer entièrement de l’expérience que je leur proposerais. Nous n’explorerions pas seulement la technique que requiert la préparation des couleurs, nous apprendrions à les aimer et nous parlerions de nos ressentis vis-à-vis d’elles. Je voudrais qu’à la fin nous soyons tous reliés par cette même sensibilité, cette chose qui n’a pas de nom, qui s’écrit en couleurs seulement et s’exprime au travers de ma peinture.

Nous peindrions tous, nous peindrions tout, des espaces entiers, les recouvrant du sol au plafond. Nous serions un seul et même corps, celui des peintres de la Collision. Bien entendu, il faudrait que nous soyons invités à réaliser d’immenses projets d’expositions pour justifier une équipe d’une telle ampleur.

À vrai dire, j’ai une ambition très simple à énoncer et même temps complètement démesurée : je voudrais réaliser une peinture plus grande encore que l’univers. Finalement, c’est ce qui relie toutes mes productions entre elles, chacune est une partie d’un ensemble plus grand qui les contient toutes.

Comme tu le sais, personne ne m’a commandé d’exposition de cette envergure et mon équipe se résume, pour l’heure, principalement à moi-même. C’est aussi la force de l’écriture, elle permet de nommer l’irréalisable, de donner forme à cette peinture infinie.

Lire le texte complet sur le site de Julie Digard

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